Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

l’exécution : car, pour accomplir une chose extraordinaire, les moyens ordinaires ne suffisent pas. Plus d’un homme sage et clairvoyant me témoigna sa surprise de ce qu’on avait osé s’engager dans une affaire tellement impossible : aussi n’eût-elle pas été possible, si un homme du mérite de M. le conseiller Eichstaedt n’avait résolu de continuer une publication à laquelle il avait pris jusqu’alors une part considérable. Les amis des arts de Weimar se firent un devoir de prêter aussi leur concours, et la Gazette littéraire générale publia le résultat de leurs efforts et de leurs travaux.

Notre exposition de cette année avait été retardée ; le goût que le public y prenait la lit prolonger. Les salles n’étaient chauffées que pour les heures où le public était admis. Un matin, nous aperçûmes sur le verre qui couvrait une charmante et fidèle copie de la Cliaritas de Léonard de Vinci la trace d’un tendre baiser. L’adorateur avait sans doute soufflé sur le verre et imprimé le baiser dans sa propre haleine, qui s’était prise aussitôt. Il nous fut aisé de découvrir la personne qui avait pu s’introduire seule dans les chambres encore froides, et nous eûmes plus d’une fois l’occasion de sourire au jeune coupable dont la bouche élait vraiment faite pour le baiser.

Nous fîmes à la fin de cette année une grande perte, mais dès longtemps prévue. Herder nous quitta après avoir langui longtemps. Il y avait trois ans que je m’étais éloigné de lui, car avec sa maladie s’était accrue son humeur querelleuse et malveillante, qui jetait une ombre sur son amabilité incomparable. On n’allait pas à lui sans éprouver sa douceur, on ne le quittait pas sans être blessé.

Qu’il est facile d’offenser et d’affliger quelqu’un, si, dans les agréables moments où le cœur s’épanche, on signale par un mot incisif et spirituel ses défauts personnels ou ceux de sa femme, de ses enfants, de sa situation, de sa demeure ! C’était une mauvaise habitude de sa jeunesse, qu’il avait conservée et qui avait fini par éloigner de lui tout le monde. On supporte les défauts de la jeunesse, parce qu’on les regarde comme des transitions, comme l’âpreté d’un fruit mal mûr : dans la vieillesse, ils sont désespérants.

Peu de temps avant sa mort il devait me donner un singulier