Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/323

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Une conversation aussi amusante qu’instructive égaya la route, et nous arrivâmes enfin au domaine de notre homme, qui était connu au loin sous le nom du fou Hayen, comme une espèce de cyclope vivant dans une belle propriété. La réception fut déjà assez caractéristique^. Il nous rendit attentifs à l’enseigne de son auberge nouvellement bâtie. Cette enseigne, suspendue à un bel ouvrage de forge, devait être un appât pour les hôtes. Mais nous ne fûmes pas peu surpris d’y voir exécuté par un artiste assez habile un tableau qui faisait le pendant de cette enseigne sur laquelle s’étend et s’égaye si fort le Voyageur dans le midi de la France ( Maurice-Auguste de Thummel).

Une réception pareille nous paraissait un fâcheux pronostic, et je me tins sur mes gardes, parce que j’eus l’idée que nos nouveaux amis, après la haute comédie d’Helmstaedt, nous avaient engagés dans cette aventure pour nous voir enveloppés et noua faire jouer un rôle dans une mauvaise farce satyrique. Si nous prenions mal cette plaisanterie, cela ne provoquerait-il pas chez eux une maligne joie ? Cependant j’écartai ces soupçons quand nous entrâmes dans la ferme imposante. Les bâtiments d’exploitation rurale étaient dans le meilleur état ; les cours en bon ordre, mais sans aucune trace d’intentions esthétiques. Les manières du maître ave.c les valets de ferme pouvaient passer pour brusques et dures ; toutefois la bonne humeur perçait et les rendait tolérables. Ces bonnes gens paraissaient d’ailleurs accoutumés à la chose, et poursuivaient tranquillement leur ouvrage comme si on leur avait parlé doucement.

Introduits dans une salle à manger claire, propre et spacieuse, nous y trouvâmes la dame de la maison, grande et belle femme, absorbée dans une tristesse muette, qui annonçait d’abord tout ce qu’elle avait à souffrif, puis deux enfants, le fils, alors en congé, enseigne au service de Prusse, la fille, venue de sa pension passer quelques jours chez ses parents ; tous deux au-dessous de vingt ans, silencieux comme leur mère.

La conversation eut d’abord quelque chose de la rudesse soldatesque ; le bourgogne était excellent ; la table et le service faisaient honneur à la dame de la maison, et tout serait allé passablement : mais on ne pouvait promener ses regards bien