Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/395

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achevée lui fut aussitôt accordé, avec une aisance plus grande que cellequ’on lui avait fait espérer, et dès lors il put vivre près de quarante ans d’une manière parfaitement conforme à sa nature et à ses désirs.

L’influence de Wieland sur le public fut continue et durable. Il a formé son siècle sur lui ; il a donné au goût comme au jugement de ses contemporains une direction décidée, en sorte que ses mérites sont assez reconnus, appréciés, décrits. Dans plusieurs ouvrages sur la littérature allemande, on parle de lui d’une manière aussi honorable que sensée. Je rappellerai seulement ce que Kuttner, Eschenbourg, Manso, Eichhorn, ont dit à sa gloire.

Et d’où est venue la grande influence qu’il a exercée sur les Allemands ? De son caractère ouvert et solide. L’homme et l’écrivain s’étaient pénétrés l’un l’autre ; sa poésie fut celle d’un vivant, sa vie celle d’un poète. Dans ses vers et dans sa prose, il ne dissimula jamais ses impressions du moment, sa manière de sentir dans chaque occasion : aussi écrivait-il encore en jugeant et jugeait-il en écrivant. De la fécondité de son esprit découlait la fécondité de sa plume.

Je dis sa plume, et ce n’est pas une expression oratoire. Elle est ici tout à fait à sa place, et, si une pieuse vénération a rendu parfois hommage à un auteur en cherchant à s’approprier une plume avec laquelle il a écrit ses ouvrages, celle dont Wieland se servit serait, plus que bien d’autres, digne de cette distinction. Car c’est parce qu’il écrivait tout de sa main et d’une trcsbelle écriture, et en même temps avec liberté et réflexion ; c’est parce qu’il avait toujours son manuscrit devant les yeux, l’étudiait, le changeait, le corrigeait soigneusement, le travaillait et le retravaillait sans se rebuter ; c’est parce qu’il n’était même jamais las de recopier des ouvrages de longue haleine, que ses productions acquéraient la délicatesse, la grâce, la clarté, l’élégance naturelle, qui résultent non pas de pénibles eilbrts, mais de l’attention géniale et sereine qu’on donne à un ouvrage déjà terminé.

Ce soigneux remaniement de ses écrits résulta d’une heureuse conviction, qui se développa sans doute en lui à la fin de son séjour en Suisse, quand l’impatience de produire se fut un peu