Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/449

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déplore déjà le tableau comme perdu ; on assure qu’on le voit à peine et mal ; quelqu’un déclare qu’on n’y voit plus rien. Et c’est ainsi que s’expriment tous les écrivains postérieurs.

Cependant le tableau était toujours là ; il n’était plus qu’une ombre de lui même, toutefois cette ombre existait. Dès lors on commence à craindre de le perdre entièrement ; les crevasses augmentent, elles se rencontrent, et la grande et précieuse surface, qui éclate en mille petites croûtes, menace de tomber morceau par morceau. Le cardinal Frédéric Borromée s’en émeut et, en 1612, il commande une copie, que nous mentionnons préalablement avec reconnaissance.

BESOIN CROISSANT.

Mais ce n’est pas seulement le laps du temps, joint aux circonstances que nous avons rapportées,-ce sont les possesseurs eux-mêmes, ceux qui auraient dû garder et protéger ce chefd’œuvre, ce sont eux qui lui causèrent le tort le plus grave, et, par là, couvrirent leur mémoire d’une honte éternelle. La porte par laquelle ils entraient dans le réfectoire leur parut trop basse ; elle faisait symétrie avec une autre, pratiquée da.ns le socle sur lequel reposait le tableau. Les moines demandèrent une entrée majestueuse dans ce lieu, qui leur était si cher.

Une porte beaucoup plus grande qu’il n’était nécessaire fut ouverte dans le milieu, et, sans aucun respect pieux ni du peintre ni des saints personnages qu’il avait représentés, les moines détruisirent les pieds de quelques apôtres et du Christ lui-même. Et c’est là proprement que commence la ruine du tableau. En effet, comme, pour former un cintre, il fallut pratiquer dans le mur une ouverture beaucoup plus grande que la porte, on perdit une plus grande partie de la surface du tableau. D’ailleurs les coups de pic et de marteau l’ébranlèrent dans son véritable champ ; en plusieurs endroits la croûte tomba et l’on refixa les morceaux avec des clous.

Plus tard une nouvelle insulte au bon goût assombrit la peinture. On fixa au plafond un écusson seigneurial, qui, touchant presque la tête du Christ, resserrait et déshonorait par en haut la personne du Seigneur, comme la porte par en bas.