Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/479

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée


Car, aussi certainement qu’un printemps revient après l’hiver enduré, les amis, les époux, les parents à tous degrés, se reverront ; ils se retrouveront en présence d’un Père qui est tout amour ; alors ils seront entre eux et avec tous les bons un même cœur, ce qu’ils ont vainement désiré dans ce misérable monde. De même, la félicité du poète repose déjà sur la persuasion que tout est remis à la providence d’un Dieu sage, dont la force vient en aide à chacun, et qui fait briller sur tous sa lumière. L’adoration de cet Être développe chez le poête la clarté et la sagesse la plus haute, et en même temps l’assurance que les pensées, les mots, avec lesquels il saisit et il exprime des qualités infinies, ne sont pas de vains songes et de vains bruits : sentiment délicieux d’une félicité particulière et universelle, dans laquelle tout ce qui résiste, s’isole, s’écarte, est résolu et absorbé.

Nous avons vu jusqu’ici la douce, paisible et calme nature de notre poête en paix avec elle-même, avec Dieu, avec le monde ; mais cette même indépendance, de laquelle une vie si sereine découle dans les sphères intérieures, ne dut-elle pas être assiégée souvent par le monde extérieur, blessée et poussée à des mouvements passionnés ?

A cette question, la réponse se trouve au complet dans les poésies qui nous occupent.

Le sentiment de s’être tiré de circonstances difficiles par sa force propre, par une ferme volonté, de s’être formé par luimême, de ne devoir qu’à soi son mérite, de n’avoir pu conserver et augmenter ces avantages que par le libre essor de l’intelligence, élève le sentiment naturel d’indépendance qui, toujours plus exalté par l’éloignement du monde, doit éprouver plus d’une fois le malaise et la gêne dans les relations inévitables de la vie.

Si donc le poète a lieu d’observer que bien des personnes de haute condition négligent les grands priviléges et les inestimables avantages qu’ils tiennent de leur naissance, et si, au contraire, il voit chez eux l’ineptie, la grossièreté, la rudesse, le défaut de culture, il ne peut pardonner une pareille légèreté. Et si, en outre, ces personnes traitent le mérite avec une vanité prélentieuse, il s’éloigne avec dépit, se bannit capricieusement