Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/482

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Pourrait-on blâmer de pareils sentiments chez un homme pénétré de la joyeuse conviction qu’il est redevable, avec beaucoup d’autres, du véritable bonheur de sa vie à la sereine lumière qui, depuis quelques siècles, s’est répandue dans le Nord, non sans imposer à ses propagateurs et à ses confesseurs les plus grands sacrifices ? Faudrait-il adhérer à cette maxime juste en apparence, mais réellement partiale et radicalement fausse, qui demande, assez effrontément, que la vraie tolérance tolère même l’intolérance ? Nullement ! l’intolérance est toujours active et agissante : on ne peut la surmonter qu’en lui opposant l’activité intolérante.

Oui, nous comprenons d’autant mieux l’inquiétude passionnée du poète, que ces ténébreuses puissances le menacent d’un autre côté ; elles menacent de lui ravir un ami, un ami dans le vrai sens du mot. Si notre poète, ainsi que nous l’avons vu, peut s’attacher si affectueusement même à ce qui ne saurait lui rendre son affection, comme il s’unira étroitement avec ce qui pourra lui répondre, avec les hommes, avec ses pareils, avec les natures excellentes, et les rangera parmi ses plus précieuses richesses !

Son esprit et son cœur cherchent de bonne heure les homm ?s cultivés, les hommes qui aspirent à la culture. Hagedorn et Kleist, ces figures de poètes déjà disparues et proclamées bienheureuses, planent désormais dans les demeures éthérées ; sur elles sont dirigés les regards de leurs jeunes successeurs ; leurs noms sont célébrés dans des hymnes pieux ; les maîtres et les connaisseurs qui vivent encore, qui ouvrent la marche, KIopstock, Lessing, Gleim, Gerstenberg, Bodmer, Ramier, sont vénérés par des nouveaux venus qui sentent leur force. Déjà se font connaître Stolberg, Burger, Boie, Miller, Hœlty, et bientôt la patrie confirmera leur gloire naissante.

Le poète poursuit longtemps sa carrière sans perte sensible, au milieu de ce cercle d’amis qu’il honore ; il réussit même à entrelacer dans le tissu de sa vie les fils de ses jeunes années d’université par l’amitié, l’amour, la parenté, le mariage, la sympathie fidèle, les voyages, les visites et les correspondances.

Aussi, quelle ne doit pas être la douleur du poète accoutumé aux prévenances de l’amitié, quand il voit, non pas la mort,