Page:Goethe - Œuvres, trad. Porchat, tome X.djvu/502

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sait qu’on ne se trouverait pas aussi mal, peut-être plus mal encore, là-bas qu’à la lumière du jour ? Ainsi flottatt entre la crainte et l’espérance la multitude, qui, bientôt après, dut accueillir avec joie le christianisme et aspirer au règne de mille ans comme au plus souhaitable des élats.

En revanche, les esprits forts, comme Lucrèce, qui pouvaient bien renoncer, mais non pas se soumettre, cherchaient, rejetant l’espérance, à se délivrer aussi de la crainte ; mais vainement était-on parvenu à se mettre d’accord avec soi-même, on avait encore à souffrir de grandes attaques du dehors.

Un homme condamné à entendre répéter sans cesse ce qu’il a rejeté depuis longtemps, éprouve un inalaise qui peut monter de l’impatience jusqu’à la fureur ; de là vient la véhémence avec laquelle Lucrèce s’élève et s’indigne contre ceux qui ne veulent pas s’anéantir dans la mort. Ces violentes invectives m’ont toujours paru avoir quelque chose de comique, et me rappellent ce généra), qui, dans le moment décisif de la bataille, voyant que ses troupes hésitaient à marcher à une mort inévitable, leur cria avec colère : « Hé ! chiens, voulez-vous donc vivre toujours ? » C’est ainsi que l’effroyable touche au risible.

i\ous n’en dirons pas davantage pour le moment sur un ouvrage qui, méritant l’attention générale, doit offrir à l’époque actuelle un intérêt tout particulier.

Bien souvent ou ne pensera pas comme Lucrèce, on ne le peut même quand on le voudrait, mais on avait besoin d’apprendre comment on pensait soixante ou quatre-vingts ans avant notre ère. Ce document est infiniment remarquable comme prologue de l’histoire de l’Eglise chrétienne.

Qu’il me soit permis de revenir sur un sujet si important. Je souhaitais de présenter Lucre.e dans ses divers caractères, de peindre l’homme et le Romain, le philosophe naturel et le poète : cet ancien projet, l’heureuse traductû n de Knebel vient à propos le faciliter. Elle seule en rend l’exécution possible. Car nous la voyons marcher toujours avec une majestueuse et noble liberté ; s’offrir dans une forme claire à notre intelligence, même quand il s’agit des problèmes les plus abstrus. Elle nous invite avec grâce à pénétrer dans les plus profonds mystères ; elle commente sans périphrase et anime un antique et difficile original.