Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/137

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Ici Nozdref reçut un verre d’anisette rustique tout droit des mains de la vieille, qui, pendant qu’il absorbait d’un trait ce breuvage, lui fit une profonde révérence.

« … Ha, bien, donne-le-moi, » cria-t-il en voyant entrer Porphiri, porteur du mâtineau.

Porphiri était vêtu exactement comme son maître, avec cette seule différence que son arkhalouk ouaté était plus noir et plus graisseux.

« Là, là ! Non, mets-le ici ; oui, ici, sur le plancher. »

Porphiri déposa sur le plancher un petit chien rondelet aux quatre pattes écourtées, et dans cette pose à la crapaudine, il flairait très-gentiment de son petit museau le plancher poudreux.

« Voilà, voilà un chien ! » dit triomphalement Nozdref en le tenant suspendu par la peau du cou.

Et le mâtineau poussa un petit gémissement plaintif.

« Eh bien ! tu n’as pas fait ce que je t’ai ordonné, dit Nozdref à Porphiri, en regardant le ventre du petit chien ; tu n’as pas même pensé à le peigner.

— Comment ? je l’ai peigné.

— D’où vient qu’il est plein de puces ?

— Je n’en sais rien ; peut-être qu’elles lui sont venues de la britchka.

— Tu mens, tu mens ; tu lui as laissé ses puces et tu lui en as ajouté des tiennes… Vois donc ! vois donc, Tchitchikof, quelles oreilles !… Oui ; mais touche donc de la main.

— Je vois sans cela ; c’est un chien d’une bonne espèce, dit Tchitchikof.

— Mais touche-lui donc les oreilles, les oreilles ; vois-moi cela !

— Oui, oui, ce sera un fort bon chien, dit notre héros en touchant les oreilles du canioule pour complaire à Nozdref.

— Et vois quel nez froid… Soupèse, soupèse ! »

Tchitchikof, pour ne pas contrarier un ami, prit le chien d’une main, lui toucha le nez de l’autre, et le remit sur le plancher en faisant une petite moue admirative et disant :

« Un flair superbe !