Page:Gogol - Les Âmes mortes, tome 1, trad Charrière, 1859.djvu/168

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sale et toutes les nobles et délicates parties de notre héros ; tout à coup tinta, comme du haut des nues, le son aigre d’une clochette de poste ; un bruit de roues roulantes se joignit de plus en plus distinct aux tintements du grelot ; une télègue s’arrêta bruyamment devant le perron, et l’on eut, dans tout l’appartement, l’écho du puissant reniflement et de l’ardente respiration des trois chevaux écumeux qui venaient de s’arrêter au terme d’une course bien fournie.

Tous machinalement regardèrent par la fenêtre ; un homme à moustaches, en surtout demi-militaire, descendit de la télègue. Après deux ou trois brèves questions faites dans l’antichambre, il entra dans la minute même où Tchitchikof, fort mal remis de sa terreur, se trouvait dans la plus détestable situation du monde.

« Qu’il me soit permis de savoir, messieurs, lequel de vous deux est Nozdref, le maître de cette terre ! dit l’inconnu en regardant tour à tour avec ébahissement Nozdref, qui se tenait muni d’un lourd tuyau de pipe comme d’une arme offensive, et Tchitchikof, qui commençait à éprouver un peu plus de calme et à refléter dans son regard une douce lueur d’espérance.

— Permettez-moi, avant tout, de savoir à qui j’ai l’honneur de parler, dit gravement Nozdref en s’avançant vers son interlocuteur.

— Le chef de la police du district, le capitane-ispravnik.

— Et qu’y a-t-il pour votre service ?

— Je suis venu ici, monsieur, vous déclarer, et vous déclare, en vertu d’un ordre qui m’a été intimé par la justice, que vous êtes sous jugement, c’est-à-dire à la disposition des tribunaux, et resterez dans cette situation jusqu’à ce qu’il soit rendu sentence et arrêt définitif dans le procès qui vous a été intenté récemment.

— Quelle bêtise ! un procès à moi ? une accusation ? Qu’est-ce que c’est donc, au fait, voyons, que cette affaire ?

— Vous êtes impliqué dans l’enquête qui se poursuit au sujet d’une orgie où plusieurs gentilshommes, dans l’état d’ivresse, ont fait violence à Maximof, propriétaire et sei-