Page:Goldsmith - Le Vicaire.djvu/185

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« Ah ! répondis-je, qu’il le soit, s’il le peut. Regarde, mon fils, ce lit de paille, ce toit brisé, ces murs en cendres, ce plancher humide ; vois ce pauvre corps tout meurtri par la flamme, cette famille en larmes qui me demande du pain, toutes ces misères que tu es venu partager ; eh bien ! ici, mon enfant, oui, ici, tu vois un homme qui, pour mille mondes, ne changerait pas de position avec M. Thornhill. Ô mes enfants ! apprenez à vous renfermer dans votre propre cœur ; vous reconnaîtrez que là sont, pour vous, les plus nobles jouissances, et vous ferez bien peu de cas de l’élégance et de l’éclat des méchants. Nous le savons presque tous, la vie est un passage, et nous sommes de simples voyageurs. La comparaison sera plus consolante encore, si nous remarquons que le juste est joyeux et serein comme le voyageur qui rentre chez lui ; le coupable, heureux seulement par moments, comme un voyageur qui part pour l’exil. »

Ici la pauvre Olivia s’évanouit : ce dernier malheur l’avait achevée. L’émotion ne me permit pas de continuer. « Soutenez-la, » dis-je à sa mère. Et, au bout d’un moment, elle reprit connaissance. Depuis, elle parut plus calme ; je la crus résignée, mais l’apparence me trompait ; ce calme n’était que l’accablement produit par l’excès de sa douleur. Quelques provisions, charitables cadeaux de mes bons paroissiens, semblèrent répandre une vie nouvelle dans le reste de ma famille ; je n’étais pas fâché, pour mon compte, d’y voir renaître un peu de bonne humeur et de bien-être. Il eût été injuste de troubler la joie de tous pour leur faire partager une mélancolie obstinée, pour leur imposer le fardeau d’un chagrin qu’ils ne ressentaient pas. Le conte joyeux recommença à circuler ; la chanson fut redemandée, et la gaieté revint planer sur notre humble habitation.