Page:Goncourt - Germinie Lacerteux, 1889.djvu/24

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la petite allait le prendre, une femme jalouse du passe-droit et de la préférence donnait à l’enfant un coup de sabot qui la retint près d’un mois au lit : Mlle de Varandeuil en porta la marque toute sa vie.

Pendant ce mois, la famille fût morte de faim, sans une provision de riz qu’avait eue la bonne idée de faire une de leurs connaissances, la comtesse d’Auteuil, et qu’elle voulut bien partager avec le père et les deux enfants.

M. de Varandeuil se sauvait ainsi du Tribunal révolutionnaire, par l’obscurité d’une vie enterrée. Il y échappait encore par les comptes de sa place qu’il devait rendre, et qu’il avait eu le bonheur de faire ajourner et remettre de mois en mois. Puis aussi, il repoussait la suspicion par des animosités personnelles contre de grands personnages de la cour, par des haines que beaucoup de serviteurs de princes avaient puisées auprès des frères du Roi contre la Reine. Toutes les fois qu’il avait eu occasion de parler de la malheureuse femme, il avait eu des paroles violentes, amères, injurieuses, d’un accent si passionné et si sincère qu’elles lui avaient presque donné l’apparence d’un ennemi de la royauté ; en sorte que ceux pour lesquels il n’était que le citoyen Roulot le regardaient comme un patriote, et que ceux qui le connaissaient sous son ancien nom, l’excusaient presque d’avoir été ce qu’il avait été : un noble, l’ami d’un prince du sang, et un homme en place.