Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/164

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tenu la pointe du graveur, et que mieux que la pierre du vieux Paris soit venu sur ces feuilles de papier. Oui, dans ces images, on dirait ressuscitée un peu de l’âme de la vieille cité : c’est comme une magique réminiscence d’anciens quartiers sombrant parfois dans le rêve trouble de la cervelle du voyant perspectif, du poète-artiste, ayant assises à son établi la Démence et la Misère. En effet, pas de commandes, pas de travail, pas de pain : pour toute nourriture, les quelques légumes d’un petit jardin, au haut du faubourg Saint-Jacques. Et en ce meurt-de-faim, exténué d’imaginations peureuses : la terreur de la police de l’Empereur qui en veut à son existence, à son talent, à ses amours, qui l’a empêché d’être le mari d’une petite actrice entrevue au soleil des quinquets, et qui a empoisonné son amoureuse avec des mouches cantharides — son poison redouté, — et qui l’a enterré dans son jardin qu’il retourne, sans cesse, pour retrouver son cadavre.

Pauvre misérable fou qui, dans les moments lucides de sa folie, fait, la nuit, d’interminables promenades, pour surprendre l’étrangeté pittoresque des ténèbres dans les grandes villes.

— Il y aurait à faire une belle chose intitulée : La Bouteille, — et faire cela sans moralité aucune.

— Une très honnête demoiselle que j’ai connue, mais en même temps très toquée et fort drolatique, disait, en parlant de sa future nuit de noces : « J’ai si peur, si peur, que j’ai envie de me faire chloroformer ! »