Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/312

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épopée ! Quel roman ! C’est tout à la fois l’Illiade et le Dernier des Mohicans. Que de tableaux ! Le passage de la Loire à Florent-le-Vieux, c’est le passage du Nil. Et comme dans les temps antiques, toujours des individualités en relief, et la guerre ayant encore l’air d’être entre des hommes et non entre des multitudes. Là-dedans, les derniers héros ! Et jusqu’au comique qui se trouve mêlé au tragique, quand les restes de l’armée en guenilles s’affublent de turbans du théâtre de La Flèche, et qu’on se fait fusiller dans de vieux jupons. Oui, c’est comme la défroque du Roman comique tombée sur les épaules d’une légion thébaine. Et savez-vous ce que la peinture a trouvé dans cette retraite des Dix Mille… un curé qui monte la garde.

— Sommes-nous bien ou mal organisés ? En toute chose, nous voyons la fin, l’extrémité de la chose ! Les autres se jettent comme des étourneaux, et sans réflexion, dans une aventure. Nous, dans un duel par exemple, quand nous ne voyons pas notre mort, nous voyons la mort de notre adversaire, la prison qu’il faudra faire, la pension qu’il faudra payer à la famille ! C’est toujours dans notre cervelle les infinies déductions de l’imprévu, déductions qui ne viennent à la pensée de presque personne. Dans un caprice, dans une liaison, notre pensée escompte d’avance les sommes d’argent, de liberté, etc., etc., qu’il sera nécessaire de débourser. Enfin, dans un verre de vin, nous