Page:Goncourt - Journal, t1, 1891.djvu/368

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mort a réveillé une image dans ma mémoire : le supplicié par le garrot de Goya.

 

… Puis j’ai vu venir dans l’ombre, tout au loin, tout au loin, au delà d’un grand cintre vitré, j’ai vu venir une petite lueur, qui a grandi, est devenue une lumière. Il y avait quelque chose de blanc qui marchait avec cette lumière, et que cette lumière éclairait. Ce qui venait a ouvert la porte du cintre, et deux femmes, dont l’une, une chandelle à la main, se sont trouvées dans la grande salle. C’était la sœur faisant sa ronde, accompagnée d’une bonne de la communauté ! La sœur, une novice sans doute, car elle n’avait pas le voile noir, était tout en blanc, d’un blanc molletonneux, avec un bandeau sur le front ; la bonne en bonnet de nuit, en foulard noir, en camisole et en jupon.

Elles ont été à un lit, la sœur à la tête, la bonne au pied et élevant la chandelle en l’air. Alors j’ai entendu une voix si doucement faible, que j’ai cru que c’était la voix de la malade. Non, c’était la sœur qui parlait à une vieille femme avec une voix de caresse, une voix calmement impérieuse, comme on en prend avec les enfants aimés, quand on veut leur faire faire quelque chose, qu’ils ne veulent pas. « Vous souffrez du siège ? » La vieille malade a bougonné de mauvaise humeur quelque chose d’inintelligible. La sœur a soulevé la couverture, a pris dans ses bras la malade infirme et infecte, l’a retournée sur le dos, un pauvre dos talé et