Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/58

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de la misérable fille, la phtisie qui apporte de la fureur à la jouissance, l’hystérie, un commencement de folie. Elle a eu avec le fils de la crémière deux enfants, dont l’un a vécu six mois. Il y a quelques années, quand elle nous a dit qu’elle allait dans son pays, c’était pour accoucher. Et à l’égard de ces hommes, c’était une ardeur si extravagante, si maladive, si démente, qu’elle — l’honnêteté en personne autrefois — nous volait, nous prenait des pièces de vingt francs sur des rouleaux de cent francs, pour que les amoureux qu’elle payait ne la quittassent pas.

Or, après ces malhonnêtes actions involontaires, ces petits crimes arrachés à sa droite nature, elle s’enfonçait en de tels reproches, en de tels remords, en de telles tristesses, en de tels noirs de l’âme, que dans cet enfer, où elle roulait de fautes en fautes, désespérée et inassouvie, elle s’était mise à boire pour échapper à elle-même, se sauver du présent, se noyer et sombrer quelques heures dans ces sommeils, dans ces torpeurs léthargiques, qui la vautraient toute une journée en travers d’un lit, sur lequel elle échouait en le faisant.

La malheureuse ! que de prédispositions et de motifs et de raisons elle trouvait en elle pour se dévorer et saigner en dedans : d’abord le repoussement par moments d’idées religieuses avec les terreurs d’un enfer de feu et de soufre ; puis la jalousie, cette jalousie toute particulière qui, à propos de tout et de tous, empoisonnait sa vie ; puis, puis… puis le dégoût que les hommes, au