Page:Goncourt - Journal, t2, 1891.djvu/82

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Aujourd’hui elle se sent entre hommes, et se livre et s’abandonne, et est vraiment charmante. Elle nous fait de jolies et spirituelles plaintes sur le niveau singulièrement descendu de la femme, depuis le temps que nous avons peint, sur son ennui de ne point trouver de femmes s’intéressant aux choses d’art, aux nouveautés de la littérature, ou ayant des curiosités, sinon viriles, au moins élevées ou rares. Mais la plupart des femmes qu’on voit, qu’on reçoit, dit-elle, il en est si peu avec qui l’on puisse causer : « Tenez, qu’il entre une femme ici, je serais obligée immédiatement de changer la conversation. Vous allez voir tout à l’heure… Oui, toutes les femmes intelligentes de ce temps-ci, je suis prête à les recevoir… Mlle Rachel, oui, Mlle Rachel, je l’aurais parfaitement reçue… Mme Sand, je l’inviterai quand on voudra. »

Décembre. — Dîner du samedi chez Magny. Sainte-Beuve a connu, à Boulogne, un vieux bibliothécaire, nommé Isnard, lequel avait été professeur de rhétorique aux Oratoriens d’Arras, et avait eu pour élève Robespierre. Il contait que son élève devenu avocat, avocat très peu occupé, avait fait un poème, intitulé : « L’art de cracher et de se moucher. » Sur ce, la sœur de Robespierre craignant qu’il ne perdît le peu de clients qu’il avait, s’il publiait son poème, allait trouver Isnard, et lui demandait un moyen pour empêcher la publication. Isnard se faisait lire le