Page:Goncourt - Journal, t3, 1888.djvu/25

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J’ai peur de l’avenir d’un siècle où tout le monde voudra avoir une carrière de vanité et de bruit.

1er février. — Quelqu’un nous dit qu’on nous joue à Montparnasse. Une curiosité d’enfant nous fait monter dans un fiacre, nous cahotant dans des rues obscures qui n’en finissent pas. Puis tout à coup le gaz flambant de pâtisseries, de charcuteries, de marchands de vin, de cafés. Un théâtre d’où sortent des hommes en blouse, et des femmes qui remettent à la porte leurs sabots sur leurs chaussons. Dans la salle un public moitié composé d’ouvriers et de portiers retraités de leurs cordons.

Nous avons d’abord vu jouer la Chambre ardente, où, quand la Brinvilliers empoisonne, j’entends des femmes derrière moi lâcher : La garce ! Un enfant est fort curieux de savoir si on verra Henri IV dans la pièce, et le demande plusieurs fois avec instance à sa mère. Au fond un public naïf sur lequel la pièce historique exerce une fascination. Car c’est incontestable, les costumes du passé, de grands noms vaguement entendus et le lointain d’une ancienne époque, imposent au peuple et le pénètrent d’un respect religieux qu’il n’a pas pour les drames qu’il coudoie, pour les personnages de son temps.

Enfin on nous joue. Tomber du Théâtre-Français à Montparnasse, à ces voix cassées par les petits verres, à ces habits d’écrivain public au dos de vos jeunes premiers, à ces inintelligences du dire… en-