Page:Goncourt - Journal, t4, 1892.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

donnée de sa population civile ; seul Gamache, le maître d’armes à la triomphante enseigne, possède encore des rideaux à son rez-de-chaussée. Partout l’envahissement des soldats, et les nombreux pensionnats de demoiselles et les établissements pour les young ladies, ont des mobiles roux en faction à leurs portes.

Un passage incessant, une allée, une venue, un croisement continu de lignards, de mobiles, de francs-tireurs, à tout moment, traversant les trois barricades, de retour de reconnaissances dont ils reviennent, pliant sous la charge de la verdure et des légumes ramassés. Un défilé sans cesse recommençant, où la fatigue est pleine d’entrain, de gaieté.

Le pont de Neuilly a sa mine toute prête sous la seconde arche. Et les jolies îles feuillues de la Seine, coupées à blanc, laissent voir, entre les troncs de peupliers, des capotes grises, manœuvrant sous la pluie.

Bientôt la pluie devient une trombe, à travers laquelle s’emportent des cavaliers dans des couvertures, qui en font des espèces de spectres équestres, trottent des chariots pittoresques, à la grosse toile bleue voletant dans le ciel, galopent des fourgons d’artillerie, où, bravant l’ondée, une svelte cantinière, la jupe à la bordure tricolore, un petit tablier blanc aux poches festonnées de rouge, et coiffée de plumes de coq, apparaît une seconde, toute claquante de couleur, dans le paysage haché par la pluie, en même temps qu’ensoleillé du coup de soleil d’une giboulée de mars.