Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/255

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les circonstances dans lesquelles elle est née, les révolutions qu’elle a subies, lui arracherait, pour ainsi dire, la genèse psychologique et matérielle de sa toile.

Oui, pour une intelligence de l’art, il y aurait à faire un salon tout nouveau, tout original, un salon qui ne parlerait que de la vingtaine de tableaux marquants, — un salon à faire une fois dans sa vie, et à ne plus jamais recommencer.

Et même dans ce salon, les curieuses notes qu’y apporterait l’anecdote racontant les choses représentées, ce que j’appellerai le mobilier de la couleur.

C’est ainsi que dans le tableau de Jacquet, la robe de velours rouge venait d’une princesse russe, morte dans un misérable garni. Elle avait été achetée, quinze francs, par un confrère de Jacquet, à un camarade de faction pendant le siège. Et cette robe, Jacquet, la voyait tous les jours, et ce beau ton, qu’il sentait sien, lui faisait venir des idées de vol. Or le propriétaire, un ami, était dans le moment en train de tourner au dix-huitième siècle. Un beau jour donc, Jacquet prenait dans son atelier un fauteuil, aux pieds contournés, que son ami regardait du même œil que lui lorgnait la robe. Le troc accepté, il emportait la robe, et aussitôt en possession de la loque à la splendide couleur, il esquissait sur une vieille toile, en deux heures, son tableau.

« Il n’y a que les choses qu’on enlève comme cela dit-il, qui sont bonnes. »

Maintenant dans la robe, la créature qu’il y avait