Page:Goncourt - Journal, t5, 1891.djvu/345

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vourer cette vente de 10,000 exemplaires, en quelques jours… 10,000 exemplaires… nous, à qui il fallait des années pour en vendre 1,500… Oh ! l’ironie des bonnes et des mauvaises fortunes de la vie… Puis, dans ce restaurant, où, en face de moi, a été si souvent assis mon frère, la chaise vide de l’autre côté de ma table me fait penser à lui, et une grande tristesse me prend, en songeant, que le pauvre enfant n’a eu que le crucifiement de la vie des lettres.

Vendredi 23 mars. — Un mauvais jour. J’ai un peu de la superstition de Gautier, à son endroit… Sera-ce aujourd’hui ?… Ça jetterait un froid dans le dîner que les Charpentier donnent, ce soir, en l’honneur de l’apparition du livre.

Un ancien ambassadeur vient me voir, et laisse tomber de ses lèvres : « Un titre bien grave ! », et sur un ton qui semble m’annoncer une poursuite pour dans quelques jours, une poursuite révélée à l’ambassadeur, en haut lieu.

L’ambassadeur dehors, ainsi que j’ai l’habitude de faire dans les grands embêtements de ma vie, je me couche. Pélagie est à Paris. J’entends sonner, sonner plusieurs fois, je ne me lève pas. Puis aussitôt qu’on est parti, le trac me prend. Je me figure que c’est Charpentier, qui est venu me dire, que le livre était saisi. Et je vis dans cette anxiété