Page:Goncourt - Journal, t7, 1894.djvu/147

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ces années-ci, lorsqu’il y a eu en Amérique, une inauguration de statue, en l’honneur de Lafayette, c’est le général Boulanger, oui, le ministre de la guerre de l’heure présente, qui est venu solliciter d’être le correspondant de l’inauguration, auprès du Figaro.

Ce soir, ma filleule Edmée m’est présentée en grande toilette par la garde, qui me rabroue un peu, comme je me permets de m’étonner de sa petitesse, quand la mère me jette gaiement de son lit : « Mais elle est très grande, elle pèse sept livres et demie… le poids d’un gigot pour douze personnes ! »

Daudet qui s’est remis au travail, ces jours-ci, me parle de son livre, et m’en parle avec l’éloquence qu’il apporte au récit des choses, en train de fermenter en lui.

À la suite d’une scène, où la femme de l’académicien, lui dit froidement qu’il est sans talent, cocu, ridicule, et que toute sa valeur, il la doit à elle seule, il sort en disant : « C’en est trop ! c’en est trop ! » Alors il va s’asseoir sur un banc du Pont des Arts, et contemple longuement ce bête de monument, tel qu’il apparaît sur les couvertures des éditions Didot, et se remémorant tout ce qu’il a souffert de par cette bâtisse il s’écrie : « Ça, une m… ! » — C’est écrit sur son petit cahier, mais il n’ose pas le laisser, et est à la recherche d’un synonyme moins naturaliste. — Le lendemain, on trouve sur le banc, où l’académicien était assis, un chapeau à bords solennels, un chronomètre et une carte de visite.