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Et elle lui fit le récit des événements que nous connaissons mais elle ne voulut pas dire à son amie qu’elle aimait, cependant notre héroïne dépeignit d’une manière si vraie le chagrin que devait éprouver Hortense, éloignée de Félix, qu’il était impossible de ne pas supposer qu’elle aussi souffrait. Et qu’est-ce que le cœur d’une femme ne devine pas ? Aussi lorsque Hortense reçut cette lettre, elle soupira en voyant son amie malheureuse. Cela diminua un peu la joie qu’elle avait éprouvée en voyant qu’on ne l’oubliait pas.

Le capitaine de Raincourt écrivait ainsi :

« Chère Hortense,

« Enfin, je puis trouver un moment pour m’entretenir avec vous. Depuis trois semaines, j’ai été tellement captif qu’il m’a fallu me résoudre à ne vivre que de votre souvenir, sans même pouvoir vous envoyer ce mot. Ne m’oubliez pas. Mais je vous entends vous récrier : Quoi, Félix, pouvez-vous me parler ainsi ! Je suis bien méchant, n’est-ce pas, de vous fâcher comme cela ? que voulez-vous, chère Hortense, il m’est si doux de m’entendre répéter que vous m’aimez toujours, que j’ose braver votre courroux. Ce langage du cœur, n’est-il pas bien tendre, et lorsque deux ans nous séparent, ne doit-on pas sans cesse désirer l’entendre ? Vous êtes pour moi la vie, et lorsqu’après bien des fatigues, je rentre chez moi, je suis heureux de penser que c’est pour ma fiancée que je travaille. C’est pour vous apporter un nom digne de vous, c’est pour déposer des lauriers à vos pieds que je désire la gloire. Sur le champ de bataille, c’est encore vous qui soutenez mon courage, et vos prières qui me protègent. Mais hélas ! je suis éloigné, et il faut me résigner à ne pas vous revoir avant plusieurs semaines, je suis retenu à Montréal. M. de Bourlamaque est parti, avec deux bataillons, pour Carillon, afin de mettre les forts qu’il y a en cet endroit en meilleur état de défense, pour continuer les ouvrages et ainsi s’assurer de la communication entre les deux lacs. On a envoyé en même temps le capitaine Ponchot à Niagara, avec ordre d’augmenter les défenses de ce fort. Il est aussi porteur d’une invitation qu’il doit envoyer aux tribus du Nord et de l’Ouest, pour solliciter leurs chefs à descendre à Montréal, afin d’assister à un grand conseil qui se tiendra ici. Vous le voyez, on ne peut s’absenter un seul instant. Dans l’ennui que j’éprouve d’être séparé de vous, il n’y aurait qu’une lettre de votre part qui pourrait me distraire.

« J’ai appris, avec peine, que l’on vous retient prisonnière et je me fais souvent des reproches en pensant que c’est pour moi que vous souffrez. Pourquoi ne puis-je vous arracher à la tyrannie de votre tuteur. Que le jour où je pourrai vous nommer ma femme me semble éloigné, quand je songe à tout ce que l’on vous fait souffrir, chère Hortense.

« Cependant soyez courageuse, je vous en prie, ne vous laissez pas aller au désespoir. Ce qui me console un peu, c’est de savoir qu’il y a près de vous des amis dévoués, qui feront tout pour améliorer votre situation, voilà pourquoi aussi j’espère que ma lettre vous parviendra, et j’ose attendre une réponse. À présent je suis obligé de vous dire adieu. Quoi sitôt vous quitter ! il m’en coûte beaucoup, mais il le faut, on m’attend, le devoir avant tout. Au revoir, rappelez-vous qu’il y a un cœur qui vous sera dévoué jusqu’à la mort.

Félix de Raincourt.

Hortense lut, et relut plusieurs fois cette lettre. Depuis longtemps, elle ne s’était sentie aussi heureuse, la certitude qu’elle pourrait désormais communiquer avec ses amis, la consolait de son isolement, et le soir elle s’endormit en disant :

— Deux ans sont bientôt passés.

CHAPITRE VIII
robert prend congé de ses amis.

Il y avait près de trois mois que Robert était chez M. Auricourt. Le jeune homme devenait de plus en plus triste, et la mélancolie de Géraldine augmentait.

Le départ de Robert était fixé au lendemain.

Au souper, Géraldine prétexta un mal de tête et ne descendit pas.

Le repas ne fut pas gai, le docteur se sentait inquiet, la santé de sa fille s’affaiblissait, la pâleur de son teint et une toux creuse qui s’était emparée d’elle depuis quelque temps l’effrayaient. Cependant il n’osa laisser son hôte et passa la veillée avec lui, malgré le désir qu’il avait d’être auprès de sa fille.

— Mon cher Robert, dit-il, vous êtes donc décidé à nous laisser.

— À regret, mais il le faut, le devoir m’appelle. Croyez que j’emporte avec moi les meilleurs souvenirs et je voudrais pouvoir prouver ma reconnaissance par autre chose que des paroles.

— Je vous connais et je suis heureux de vous avoir obligé. Je ne vous en veux que sur un point, c’est que vous allez nous plonger dans l’ennui en nous laissant.

Robert abaissa ses regards, et ne répondit pas. Il pensait combien il aurait été heureux si Géraldine avait prononcé ces paroles.

Depuis plusieurs jours, pas un mot ne lui avait été adressé de la part de la jeune fille, qu’avait-elle donc ? pourquoi sa conduite avait-elle changé ainsi tout à coup, c’est ce qu’il ne pouvait s’expliquer ; c’est aussi ce qui le torturait.

Le docteur interrompit ses amères réflexions.

— Mon ami, lui dit-il, j’ai souvent entendu dire au général Montcalm que vous aviez eu de grands malheurs. Si vous avez confiance en moi, racontez-moi donc les épreuves que vous avez eues à supporter ; je porte un véritable intérêt à tout ce qui vous concerne.

Robert remercia, en disant qu’il éprouvait un grand soulagement de la sympathie qu’on lui manifestait. Et il commença en ces termes :

« Mon père est marquis. D’un caractère fier et hautain, il élevait ses trois enfants dans la crainte ; cependant il se montrait bien plus indulgent pour notre frère aîné, et notre mère affligée de cette préférence, s’efforçait de nous faire oublier à ma sœur et à moi cette injustice en nous comblant d’amour et de tendresse. Combien nous l’aimions, combien nous étions heureux près d’elle ! mais un jour, nous vîmes couler ses larmes ; nous la suppliâmes de nous confier la cause de son chagrin : elle s’efforça de sourire, et nous con-