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OBLOMOFF.

une fois par an, quelques-uns allaient à la foire ; après cela, ils n’avaient plus de relations avec personne. Leurs intérêts étaient concentrés sur eux-mêmes, sans se mêler ni se heurter aux intérêts des autres.

Ils n’ignoraient pas qu’à quatre-vingts verstes siégeait le Gouvernement, c’est-à-dire le chef-lieu de la province, mais peu y allaient et rarement ; ensuite, ils savaient qu’un peu plus loin par là, il y avait Saratoff ou Nijny ; ils avaient entendu parler de Moscou et de Pétersbourg ; on leur avait dit que de l’autre côté de Pétersbourg habitaient les Français ou les Allemands, et plus loin commençait pour eux, comme pour les anciens, un monde obscur, des régions inconnues, peuplées de monstres, d’hommes à deux têtes, de géants ; puis venaient les ténèbres, — et enfin tout se terminait par le poisson qui porte la terre.

Et, comme leur petit coin est loin de tout passage, ils ne pouvaient avoir des nouvelles plus fraîches de ce qui se faisait dans le monde blanc[1]. Les charretiers qui transportent la vaisselle de bois, ne demeuraient qu’a vingt verstes, et n’en savaient pas davantage.

Les habitants de ce pays ne pouvaient même comparer leur existence avec celle des autres : Vivaient--

  1. Par opposition au monde noir, c’est-à-dire inconnu.