Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/100

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… Je revois grand’mère assise sur un coffre, le dos courbé, immobile et sans souffle ; debout devant elle, je caresse ses joues tièdes, douces et mouillées ; mais elle ne s’aperçoit de rien et, d’un air morne, murmure :

— Seigneur, n’avais-tu donc pas assez de bon sens pour m’en donner, à moi et à mes enfants ? Seigneur, aie pitié de nous.



Il me semble que grand-père n’a pas habité plus d’une année la rue des Champs ; pourtant, dans ce court laps de temps, la maison acquit aux alentours bruyante et mauvaise renommée ; presque tous les dimanches, les gamins rassemblés devant notre portail s’exclamaient gaîment :

— Voilà qu’on se bat encore chez les Kachirine !…

Vers le soir, généralement, l’oncle Mikhaïl arrivait et, la nuit entière, assiégeait la maison, dont les habitants étaient en émoi. Parfois, il se faisait accompagner par deux ou trois acolytes, la crème du faubourg Kounavine. Par le ravin, les sauvages pénétraient dans le jardin où ils se livraient aux fantaisies les plus échevelées que l’ivresse leur dictait, saccageant les plates-bandes, arrachant les framboisiers et les groseilliers ; certain soir, même, ils démolirent la buanderie qui servait aussi de salle de bains, brisant tout ce qui s’y trouvait : plancher, banc, marmites, portes et cadres de fenêtres.

Sombre et muet, grand-père demeurait à la croisée, prêtant l’oreille, tandis que grand’mère, invisible