Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/101

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dans l’obscurité, courait par la cour et criait d’une voix suppliante :

— Mikhaïl ! Que fais-tu, Mikhaïl ?

En réponse, arrivait du jardin un juron idiot et obscène.

J’étais alors extrêmement malheureux, car il m’était impossible de rester à côté de grand’mère, et loin d’elle la peur m’étreignait ; mais si je m’avisais de descendre dans la chambre de grand-père, il grognait aussitôt en m’apercevant :

— Hors d’ici, vaurien !…

Je me réfugiais au grenier, cherchant par la lucarne à me rendre compte de ce qui se passait dans les ténèbres du jardin. Certaine nuit, n’apercevant plus l’aïeule et craignant qu’on ne la tuât, j’appelai de toutes mes forces. Mon oncle, ivre comme de coutume, entendit ma voix et se répandit en invectives furieuses et malpropres contre ma mère.

Un soir qu’une de ces scènes se déroulait, grand-père, malade et alité, agitait sur l’oreiller sa tête enveloppée d’un linge et glapissait d’une voix geignarde :

— Dire que c’est pour en arriver là que nous avons vécu, péché et amassé du bien ! Si ce n’était pas scandaleux, je ferais venir la police et j’irais demain chez le gouverneur… Quelle infamie ! Les parents ne pourraient pas faire arrêter leurs enfants ? Ce serait honteux ! Alors, il faudrait tout supporter ! Allons donc !

Soudain, il mit les pieds hors du lit et, d’un pas chancelant, se dirigea vers la fenêtre ; grand’mère le retint par le bras :

— Où vas-tu ? Où vas-tu ?

— Allume la chandelle ! ordonna-t-il en haletant.