Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/109

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tout. Une joie indicible nous envahit, les membres sont dispos et le cœur à l’aise. Parfois, maman fermait ses yeux bleus et entonnait une chanson : sa voix n’était pas très forte mais très sonore, et tout semblait s’apaiser et se taire pour mieux écouter. Que cette vie de mendicité était agréable ! Mais quand j’eus neuf ans, ma mère trouva honteux de me laisser mener cette existence oisive. Elle se fixa à Balakhan : pendant la semaine elle quémandait notre pain de maison en maison, et le dimanche, mendiait sur le parvis des églises. Durant ce temps, à la maison, j’essayais de faire de la dentelle ; je tenais à apprendre le plus vite possible afin d’aider maman, et quand j’échouais dans mes tentatives, je versais des larmes. En deux ans et quelques mois, j’appris à fond le métier et bientôt je fus très connue en ville ; si quelqu’un avait besoin d’un ouvrage bien fait, c’était à moi qu’on s’adressait : « Tiens, Akoulina, fais danser tes fuseaux ! » Et j’étais heureuse ! Mon travail, bien sûr, n’avait de valeur que parce qu’il était inspiré et dirigé par ma mère qui, n’ayant qu’une main, se bornait à me guider ; mais un maître comme elle valait dix ouvrières. Alors, je suis devenue ambitieuse et je lui ai dit : « Ne va plus mendier, maman ; c’est moi seule maintenant qui vais te nourrir ! » Elle m’a répondu : « Tais-toi, ma fille, garde ton argent pour ta dot ! » Et bientôt ton grand-père est arrivé ; c’était un garçon remarquable : à vingt-deux ans, il gagnait déjà pas mal d’argent… Sa mère m’a examinée : elle a reconnu que j’étais travailleuse et, parce que j’étais fille de mendiante, elle a conclu que je serais très soumise et obéissante…