Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/130

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Combien de fois t’ai-je appris à prier, vieille sotte ! Et tu continues quand même à réciter des âneries de ton invention ! Je ne sais vraiment comment le Seigneur peut encore te supporter !

— Il comprendra ! répliquait grand’mère avec assurance. On peut dire à Dieu tout ce qu’on veut. Il comprend toujours.

— Ah ! maudite bourrique !

Le Dieu de grand’mère était toute la journée avec elle : même aux animaux elle parlait de Lui. Je sentais que les gens, les chiens, les oiseaux, les abeilles, les plantes, tout obéissait avec soumission et sans effort à ce souverain omnipotent qui était également bon pour n’importe laquelle de ses créatures.

Un jour, le chat de la cabaretière, une bête rusée, gourmande, sournoise et fort populaire parmi les habitants de la cour, apporta du jardin un petit étourneau. Grand’mère prit l’oiseau et se mit à gourmander le matou aux prunelles dorées :

— Tu n’as donc pas peur de Dieu, vilain malfaiteur ?

La cabaretière et le portier, en entendant ces paroles, se mirent à rire, mais grand’mère les apostropha avec colère :

— Vous croyez peut-être que les animaux ne savent pas ce que c’est que Dieu ? Toutes les créatures Le connaissent et Le comprennent, aussi bien que vous, gens sans cœur…

Quand elle attelait Charap elle ne manquait pas de converser avec lui.

— Pourquoi as-tu l’air si triste, serviteur de Dieu ? Tu vieillis, n’est-ce pas ?