Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/137

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Dieu les réduit en cendres et leurs villes aussi sont détruites ; Dieu châtie les hommes par le froid et par la famine. C’est le glaive toujours suspendu au-dessus de la terre ; c’est le fléau des pécheurs.

— Tous ceux qui, par désobéissance, violent les commandements de Dieu, seront punis ; les malheurs et la ruine s’acharneront sur leur maison, pontifiait grand-père cependant que les os de ses doigts décharnés tambourinaient sur la table.

J’avais peine à croire à la cruauté de Dieu. Je soupçonnais mon aïeul d’inventer toutes ces horreurs pour m’inspirer non pas la crainte de l’Éternel, mais la sienne propre ; je l’interrogeais avec franchise :

— Est-ce que tu me dis ça pour que je t’obéisse ? Et il me répondait, tout aussi ouvertement :

— Mais bien sûr ! Il ferait beau voir que tu ne m’obéisses pas !

— Mais alors, grand’mère…

— Ne va pas croire cette vieille sotte ! ordonnait-il avec sévérité. Elle a toujours été stupide ; elle n’a pas le sens commun et ne sait ni lire ni écrire. Je vais lui défendre de te parler de ces choses-là. Réponds-moi : combien y a-t-il de catégories d’anges et quelles sont leurs attributions ?

Je répondais et j’interrogeais à mon tour :

— Qu’est-ce que c’est qu’un fonctionnaire ?

— Ah ? quelle cervelle de linotte ! s’écriait-il avec un sourire et en se mordillant les lèvres, et il expliquait ensuite à contre-cœur :

— Cela n’a rien à voir avec l’histoire sainte, c’est quelque chose d’humain ! Le fonctionnaire est un homme qui vit des lois et qui les dévore !