Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/144

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pelisse l’empêchait de courir et il tombait bientôt sur les genoux, ses mains noires pareilles à du bois mort, appuyées au sol. Les gamins en profitaient pour lui lancer des pierres dans le dos et dans les côtes ; les plus hardis s’approchaient même très près et, après lui avoir versé sur la tête une poignée de poussière, s’enfuyaient au galop.

J’éprouvais une impression plus pénible peut-être encore que celle-ci quand je voyais notre ancien ouvrier Grigory, devenu complètement aveugle, qui s’en allait mendier par les rues. Grand, beau et taciturne, il était conduit par une petite vieille qui s’arrêtait sous les fenêtres et psalmodiait d’une voix glapissante en regardant toujours ailleurs :

— Au nom de Jésus, donnez à un pauvre aveugle.

Grigory ne disait rien. Ses lunettes noires regardaient fixement les murs des maisons, les fenêtres et les visages des passants. Sa main toute rongée par les acides caressait doucement sa large barbe, ses lèvres restaient obstinément serrées. Je le voyais fréquemment, mais je n’entendais jamais sortir un son de sa gorge, et le silence du vieillard m’oppressait et m’accablait. Je ne pouvais pas m’approcher de lui ; bien au contraire, dès que je l’apercevais je rentrais chez nous en courant et je prévenais grand’-mère :

— Grigory est en bas !

— Vraiment ! s’exclamait-elle d’une voix inquiète et pleine de pitié. Tiens, va vite lui porter ceci !

Je refusais d’un ton bourru. Grand’mère alors allait elle-même au portail et conversait longuement avec l’aveugle, debout sur le trottoir. Il riait et sa