Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/150

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touffu et agréablement compliqué : dans un coin se trouvait une petite chambre à lessive, minuscule comme un appartement de poupée : dans un autre, une sorte d’excavation assez profonde, où, parmi les herbes folles, émergeaient des poutres noircies, débris de l’ancienne chambre à lessive consumée par un incendie. À gauche, le jardin était borné par le mur de l’écurie du capitaine Ovsiannikof ; à droite, par la bâtisse de notre voisin Betleng ; tout au fond, il touchait à la ferme de la laitière Petrovna, grosse femme rubiconde et bruyante qui ressemblait à une cloche ; sa maisonnette, noire, délabrée, enfoncée dans le sol mais bien couverte de mousse, avait un air placide et regardait de ses deux fenêtres la campagne toute sillonnée de ravins profonds ; au loin se profilait la pesante masse bleu sombre des forêts. Toute la journée, des soldats manœuvraient dans les champs et, sous les rayons obliques du soleil d’automne, les baïonnettes lançaient des éclairs blancs.

La maison était entièrement habitée par des gens que je n’avais jamais vus. Sur le devant logeaient un militaire, ainsi qu’un Tatare avec sa femme. Du matin au soir cette petite créature rondelette riait et jouait d’une guitare enrichie d’ornements bizarres. Elle chantait d’une voix aiguë et sonore, et affectionnait tout particulièrement un air fougueux et entraînant dont voici quelques paroles :


     Tu aimes une femme, elle ne veut pas de toi !
     Il faut en chercher une autre, sache la trouver.
     Et la récompense t’attend dans cette voie sûre,
     Une douce récompense !