Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/201

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courut au jardin et là, dans le bas fond tapissé par la neige, on aperçut l’oncle Piotre qui gisait, le dos appuyé à la poutre calcinée, la tête pendante sur la poitrine ; sous l’oreille droite il avait une profonde entaille, rouge comme une bouche, d’où sortaient, en guise de dents, des petites choses violacées. Terrifié, je fermai à demi les yeux et, à travers mes cils, je vis sur les genoux du charretier le couteau que je connaissais bien et que serraient encore les doigts noirs et recroquevillés de sa main droite. Quant à la gauche, écartée du tronc, elle était cachée dans la neige qui avait fondu sous le cadavre, et tout ce petit corps, profondément enfoncé dans ce duvet lumineux et douillet, semblait plus enfantin encore. À la droite de Piotre, un étrange dessin rouge qui figurait comme un oiseau se détachait sur la neige ; à sa gauche, la couche blanche était immaculée. La tête penchée s’appuyait du menton sur la poitrine nue et, sous l’épaisse barbe annelée tout en désordre, on apercevait une grosse croix de cuivre entre des filets de sang figé.

Le bruit des voix m’incommodait et me donnait le vertige ; Petrovna beuglait sans s’arrêter ; l’agent de police hurlait en envoyant Valéy je ne sais où ; grand-père, enfin, criait :

— Ne marchez pas sur les traces de pas !

Mais, soudain, il fronça les sourcils et, regardant à terre, devant ses pieds, il dit tout haut et d’une voix autoritaire qui s’adressait à l’agent :

— Ce n’est pas la peine de discuter ! Dieu seul peut juger cette affaire-là. Et toi, tu nous racontes toutes sortes de choses ! Ah ! vous !..