Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/205

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dans le silence cristallin d’une journée d’hiver. Au loin, chante en s’enfuyant la clochette d’une troïka qui passe, mélancolique alouette de l’hiver russe.

Transi de froid, sentant que j’avais les oreilles gelées, je ramassai cages et pièges, sautai par-dessus la clôture, et, après avoir traversé notre jardin, je rentrai chez nous précipitamment. Le portail était grand ouvert ; un énorme paysan faisait sortir de la cour trois chevaux attelés à un vaste traîneau couvert et une épaisse vapeur se dégageait de ses bêtes.

L’homme sifflotait gaîment ; mon cœur tressaillit :

— Qui as-tu amené ?

Il se retourna, me regarda, sauta sur le rebord extérieur du traîneau et répondit :

— Le pope !

L’événement ne m’intéressait guère ; si c’était le pope, sa visite n’était pas pour nous, mais pour un des locataires, sans doute.

— Allons, petites poules ! se mit à chantonner et à siffler l’homme en touchant de ses rênes les chevaux, et sa gaîté communicative sembla remplir le silence.

Les trois bêtes, obéissant avec ensemble, prirent leur élan vers les champs où je les suivis longtemps de l’œil. Ayant pénétré dans la cuisine déserte, j’entendis dans la chambre voisine la voix de ma mère qui prononçait distinctement ces paroles :

— Que vas-tu faire ? Me tuer, peut-être ?

Sans prendre le temps de retirer mon manteau, je lançai mes cages dans un coin et me précipitai dans le corridor où je me heurtai à mon grand-père. Le vieillard me prit par l’épaule, me regarda d’un air