Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/229

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— Ne vous donnez pas la peine ! fit-il, et sa bouche se tordit en une affreuse grimace ; il me saisit à la ceinture, m’attira à lui, me fit pirouetter sur moi-même avec rapidité et sans aucun effort, me relâcha en me complimentant :

— Il n’y a pas à dire, c’est un robuste gaillard !

Installé dans un fauteuil de cuir, si vaste qu’on pouvait s’y coucher, je pus me rendre compte de quelle façon ennuyeuse les grandes personnes s’amusaient. Le visage de l’horloger se transformait sans cesse et je trouvais la chose à la fois suspecte et bizarre ; on aurait dit que cette physionomie adipeuse fondait ; quand l’homme souriait, ses grosses lèvres s’en allaient sur la joue droite et le nez aussi voyageait, comme un petit pâté sur une assiette. Les grandes oreilles écarquillées remuaient drôlement ; tantôt elles se soulevaient en même temps que le sourcil de l’œil sain, tantôt elles se rabattaient vers les pommettes ; il me semblait que si l’horloger avait voulu, il aurait pu en couvrir son nez. Parfois, après avoir poussé un profond soupir, il sortait une langue aussi ronde qu’un pilon, et lui faisait décrire un cercle régulier en léchant ses épaisses lèvres huileuses. Tout cela, sans me divertir beaucoup, m’intéressait cependant et m’incitait à le guetter sans cesse.

On prenait du thé additionné de rhum, on buvait les liqueurs de grand’mère, des ratafias verts ou jaunes comme de l’or. On mangeait de succulents beignets à la crème et des galettes au miel saupoudrées de graines de pavot. On avait chaud, on transpirait, on soufflait pour s’éventer et on faisait des compliments à mon aïeule. Lorsque les convives