Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/233

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L’ayant assis sur le canapé où il s’effondra comme une loque, la bouche ouverte, grand’mère s’adressa à sa fille :

— Et toi, rhabille-toi !

Ramassant ses vêtements épars sur le plancher, ma mère déclara :

— Je n’irai pas vers lui, vous entendez ?

Grand’mère me poussa à bas du canapé :

— Va vite chercher une cruche d’eau !

Elle parlait bas, presque en chuchotant, mais d’un ton calme et autoritaire. Je filai par le corridor ; dans une des pièces sur le devant de la maison, des pas lourds et cadencés résonnaient tandis que, dans la chambre de ma mère, sa voix sonore s’élevait :

— Je partirai demain !

J’entrai dans la cuisine et je m’assis à la fenêtre ; il me semblait que je rêvais.

Grand-père gémissait et sanglotait, grand’mère bougonnait, une porte claqua, puis un silence angoissant plana sur la maison. Je me souvins de ce qu’on m’avait commandé et partis puiser de l’eau avec une jarre de cuivre : en traversant le corridor, je rencontrai l’horloger. La tête baissée, il toussotait et de la main lissait sa casquette de fourrure. Grand’mère, les doigts croisés sur le ventre, le saluait, lui faisait des révérences qu’il ne voyait pas et disait à mi-voix :

— Vous le savez vous-même, l’amour est une chose qui ne se commande pas…

L’horloger trébucha sur le seuil du perron et se précipita dans la cour. Toute tremblante, grand’mère