Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/236

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— Tu as eu peur, tout à l’heure, n’est-ce pas ? me demanda-t-elle en me poussant.

Non, je n’avais pas eu bien peur à ce moment-là. C’était maintenant que je ne me sentais pas à l’aise, que je ne comprenais pas.

Comme d’habitude, le dimanche et les jours de fête, ils mangèrent tant et si longtemps que j’en étais lassé. Il me semblait que je n’avais pas en face de moi ces mêmes personnes qui, une demi-heure auparavant, s’invectivaient, prêtes à se battre. Non, je ne pouvais déjà plus croire qu’ils avaient agi alors pour de bon et qu’ils avaient pleuré. Leurs cris et leurs larmes, les tourments qu’ils s’infligeaient mutuellement, les scènes qui éclataient pour s’éteindre aussitôt, m’étaient devenus si familiers que tout cela ne parvenait plus à me toucher que très faiblement.

Bien longtemps après, j’ai compris que les Russes, obligés de mener une vie indigente, arrivent à chercher dans le chagrin une distraction. Ils s’en amusent comme des enfants, ils s’y complaisent et il est rare qu’ils aient honte d’être malheureux.

Durant les interminables journées de travail, la douleur elle-même est une fête, et l’incendie un divertissement, comme sur un visage insignifiant toute égratignure est un ornement.