Page:Gorki - Ma Vie d’enfant.djvu/314

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la bataille commençait. En général, ils se plaçaient dans un endroit découvert, le plus souvent au milieu du carrefour, et nous les attaquions en criant et en lançant les vieilles chaussures. Eux braillaient également et poussaient des éclats de rire assourdissants lorsque l’un de nous, surpris en plein élan, culbutait la tête la première dans le sable, renversé par un projectile adroitement lancé dans ses jambes.

Le jeu durait longtemps, parfois jusqu’à la tombée de la nuit ; les petits bourgeois se rassemblaient et, réfugiés à l’angle des rues, nous regardaient, protestant au nom de l’ordre troublé, tandis que les chaussures de tille, grises et poussiéreuses, voltigeaient comme des corbeaux.

Les Tatares s’échauffaient tout autant que nous. Souvent, la bataille finie, ils nous emmenaient au réfectoire de leur association, où ils nous offraient de la viande de cheval douceâtre et une bizarre préparation de légumes ; après le souper, on buvait un thé épais et on mangeait une sorte de pâte de noisettes grasse et sucrée. Ces énormes gaillards nous plaisaient beaucoup ; c’étaient de vrais hercules ; il y avait en eux quelque chose d’enfantin qui se comprenait d’ailleurs, mais ce qui me frappait surtout, c’était leur douceur sans malice, leur égalité d’humeur, leur bonhomie et les attentions amicales qu’ils se témoignaient les uns aux autres.

Leur rire avait une franchise adorable, ils riaient jusqu’aux larmes. L’un d’eux, un luron au nez cassé, originaire de Kassimof, doué d’une force fantastique — il avait une fois transbordé d’une berge sur le rivage, et assez loin, une cloche pesant près de six