Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/117

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quelque temps après, je résolus, la prévenant par un mot, d’aller la voir, rue du Montparnasse.

Elle habitait là, avec une espèce de sorcière qui lui servait de domestique et de conseillère. Je passai sur le corps de cette duègne, et me précipitai dans le petit salon, où un spectacle inattendu me cloua, hébété, debout, simulacre du désespoir.

Thamar, demi-nue, assise sur des coussins devant un feu de coke, raclait une guitare. Des sequins dans les cheveux, un collier de perles fausses sur la gorge nue, les yeux perdus dans le vague, une cigarette au coin de la lèvre, elle secouait les cordes grêles de cet instrument de torture espagnol. Deci, delà, brûlaient des pastilles du sérail, répandant une forte odeur d’encens et de musc. C’est elle, naturellement, que j’aperçus dès l’abord. Mais, plus loin, un monsieur jeune, tenant entre ses jambes son parapluie, sur lequel il avait placé son chapeau rond, avait l’air d’être plongé dans une demi-extase.

Après avoir foudroyé de mon regard exaspéré la belle Thamar, qui, impassible, grattait toujours les cordes de sa guitare, ô torture ! je dévisageai le convive de ce sérail, ô pastilles ! Lui,