Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/143

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conque, et jeter en face du public les chanteurs de rimes, avec leur accent normand ou gascon, leurs gestes incohérents ou leur gaucherie d’allure ; mais avec cette chose particulière, cette saveur de l’auteur produisant lui-même au jour l’expression de sa pensée.

Dès cette époque, j’en parlais de la sorte. On m’objectait que les poètes manqueraient ainsi un peu de cette dignité pontificale qu’on leur impose au nom de je ne sais quoi ; de plus, quelques-uns se sentaient trop timides pour déclamer leurs poèmes devant plus de trois ou quatre personnes, et encore leur fallait-il avoir derrière eux la cheminée d’un salon, ou le coin d’un piano, pour se donner une contenance. Je répondais que les troubadours et les trouvères, qui furent grands à leur époque, mêlaient l’art de bien dire à l’art de bien penser et de bien exprimer ; que, d’ailleurs, l’art du comédien, après avoir été honni pendant longtemps, était acclamé dans les milieux les plus collets montés, qu’ils tiraient gloire et argent des vers des poètes, et que, ma foi, les poètes, sans prétendre à l’argent, devaient récupérer tout au moins la gloire. J’ajoutais que la timidité est bientôt vaincue par l’exercice, et je