Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/20

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

rait, sur le sol de la Grand’Ville, un arpent au moins, et qu’une armée entière, avec armes et bagages, pouvait très bien dormir à l’ombre du petit doigt de M. Théodore de Banville.

Si, pour accomplir quelques médiocres additions, Paris, représenté au ministère par un chef de bureau grave et décoré, me jugeait à peine capable d’un pointage au crayon rouge, pointage déjà exécuté par tous les crayons de l’arc-en-ciel, quelle outrecuidance n’aurait-ce pas été que de se risquer dans la littérature, ce royaume, où certes, au début, on m’aurait prié non pas même de cirer les bottes des grands hommes, non, mais simplement de regarder comment on les cire, afin d’apprendre.

Sans nul doute, les jeunes, les débutants, déjà célèbres dans le quartier Latin, et vers Montmartre, m’épouvantaient moins ; je les sentais plus proches et abordables et, pourtant, ils m’intimidaient aussi.

Le soir, délaissant les parties de manille ou de polignac des camarades du lycée, j’allais autour de l’Odéon errer vers le café Voltaire ou le café Tabourey ; à travers les vitres, j’apercevais le nez d’un poète, le chapeau d’un prosateur, la barbe d’un dramaturge. Parfois,