Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/40

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filles, dont plusieurs ont fait leur chemin. Mais ce qui, dès l’abord, distinguait le Sherry-Cobbler de n’importe quelle autre brasserie, c’est qu’il n’y eut jamais là de boisson s’appelant sherry-cobbler, ce breuvage américain y étant aussi profondément inconnu que l’homérique ambroisie ; nul des allants ou venants ne peut se vanter d’avoir, à l’aide d’un chalumeau, humecté son gosier de ce nectar spécial, qui servait pourtant d’enseigne au modeste établissement tenu par Joséphine.

Un soir, trois audacieux lycéens — cet âge est sans pitié — trois lycéens, la bouche armée de panatellas énormes, des cigares pareils à des cornes de rhinocéros, entrèrent en ce séjour de lyrisme, et, ô stupeur, demandèrent à la jeune fille qui devait les servir :

— Trois sherry-cobblers !

Trois sherry-cobblers, trois ! Un, c’eût été de l’audace, mais trois ! La blonde préposée, ignorant ce breuvage, crut d’abord à une mauvaise plaisanterie de la part de ces potaches ; puis, sur leur insistance, elle se rabattit vers la caissière, et formula la demande de ces clients sauvages et extravagants.

— Répondez qu’il n’y en a plus, dit la