Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/70

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Le bruit des voix montait. Un peuple trivial
De boursiers fatigués, de mornes journalistes,
Et de tout jeunes gens déjà lassés et tristes,
Se pressait sous les feux du gaz qui se mêlait
Lugubrement au jour blême qui s’en allait.
Je m’accoudai longtemps au marbre de la table,
Près de pleurer, noyé d’un chagrin ineffable :
Car c’était, ce café douloureux, au sortir
Du palais où mon cœur venait de tant sentir,
Le symbole, visible à moi seul, de la vie
Qui me prendrait le jour où mon âme ravie
Dans un bleu paradis d’amour surnaturel
Retomberait à plat sur le monde réel.

(Edel.)

Je cite ces vers, non point comme des meilleurs qu’ait écrits Bourget, mais pour indiquer l’état d’âme en lequel il se trouvait à cette époque, l’immense besoin qu’il éprouvait d’échapper à ce monde réel composé de bohèmes et de Villons de brasserie, afin de s’évader vers la sphère aristocratique, délicate et quintessenciée, où il devait se cantonner plus tard.

Le champ de la vie moderne est très vaste ; il y a des salons dont les lumières, le soir, répondent au scintillement des becs de gaz de l’assommoir ; et la princesse Morphine est tout aussi réelle que Coupeau. Paul Bourget préférait d’ores et déjà la princesse, et son analyse