Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/75

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l’épicier voisin, pour prendre à beaux deniers comptants le vermout réparateur, l’absinthe inspiratrice, le champagne consolateur, qui, versés dans les verres, et de là dans les cervelles, produisaient les sonnets tintinnabulants, les merveilleuses ballades et les triolets de ses amis les poètes. Sapeck ne leur demandait en revanche que de lui réserver les manuscrits, lesquels, reliés de façon riche, ont dû faire l’ornement de sa bibliothèque.

Sapeck avait, entre autres spécialités, celle d’imiter ravissamment le cri du jeune chien qu’on lui a marché sur la patte. Or, il possédait un toutou minuscule, décoré du nom de Tenny, qu’il portait dans la poche de son immense pardessus mastic. Sapeck habitait alors en plein Montrouge, il se devait à ce quartier éloigné, étant élève d’André Gill, qui prétendait que le cimetière Montparnasse était au centre des affaires. Seulement Sapeck descendait souvent vers la place Saint-Michel. Riche, mais économe il prenait le tramway ; néanmoins, il emportait dans la poche de son paletot, la jeune bête-chien, intitulée Tenny. Certain soir, un conducteur grincheux avisa la patte de Tenny qui sortait du pardessus, et déclara :