Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/85

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ce qui avait pu être publié sans danger à Meaux ville de province, en feuillets à 50 centimes, ne pouvait pas subitement devenir nuisible à Paris, ville de lumière, dans une édition à 3 fr. 50. Ainsi passa l’Assommoir, à travers les mailles du filet judiciaire.

La correction des épreuves ne suffisait pas à ma jeune ambition ; et, puisque je ne pouvais caser mes vers dans les recueils, je me résolus à suivre le conseil des camarades et à tâter du théâtre. Ô martyrologe ! grotesque martyrologe !

Étant Périgourdin, comme Mounet-Sully, je m’adressai au grand tragédien dont l’étoile commençait à resplendir entre cour et jardin, aux Français. Il habitait alors quai de Gesvres, au cinquième ou sixième étage. Là, je lui portai, un jour, la comédie en vers modernes qui m’avait coûté tant de nuits blanches. Mounet m’offrit un café délicieux, écouta ma lecture, et me fit beaucoup d’objections ; puis il ajouta que, pour l’instant, les vers au théâtre semblaient être en baisse, que le classique s’y maintenait avec peine, que lui-même se sentait fatigué de la lutte, et qu’il projetait de se livrer à la sculpture. Il me montra quelques-uns de ses essais : une tête de saint Jean-Baptiste, un