Page:Goudeau — Dix ans de bohème, 1888.djvu/91

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Maigre, le front ombragé par d’épaisses boucles de cheveux châtains, l’œil enfoncé sous l’arcade sourcilière — l’œil bleu vert — la bouche grande, une moustache dure, la figure ravagée, tourmentée, grimaçante, et la voix surtout, la voix dont les deux octaves avaient tour à tour d’exquises tendresses, des miaulements fous et d’empoignantes notes basses : tout cela impressionnait vivement et remuait les nerfs.

Seulement, bientôt, en ce milieu profane, la gaieté ironique l’emportait, et tout se terminait par de folâtres refrains, dont le plus modeste extrait terrifierait le lecteur pudique.

Puis, quand il n’y avait pas, dans la petite brasserie, un tapage trop infernal, on organisait de véritables séances de diction poétique. Un soir, même, un infortuné bureaucrate, abusant de ce que Maurice Rollinat était un employé de la mairie du VIe arrondissement, et moi-même un attaché au ministère des finances, se risqua à déclamer un sonnet de sa façon ; sa façon était exécrable ; toutefois, par un sentiment exquis de politesse, chacun de nous baissait la tête, dissimulant l’âpre ennui, la désolation amère que nous causait cette versification maladroite. Malheureusement pour l’auteur, ce silence l’intimida, et