Page:Goudeau - Poèmes ironiques, 1888.djvu/12

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jonchaient inextricablement le sol, les réservoirs à gaz envoyaient au diable leurs poutres énormes et leurs poids.

Les canons éclataient sur les murailles et les murailles croulaient.

Bientôt les charrues, les herses, les pioches, toutes les mécaniques, tournées jadis contre le sein de la terre dont elles étaient sorties, se couchaient maintenant sur le sol, refusant à jamais plus de servir l’homme.

Les haches respecteront l’arbre, et la faucille ne mordra plus le blé mûr.

Partout, sur le passage de la Locomotive vivante, l’âme du Bronze se réveillait enfin.

Les hommes fuyaient éperdus.

Bientôt tout ce territoire, surchargé de travaux humains, ne fut plus qu’une plaine de gravas tordus et calcinés. Ninive avait pris la place de Paris.

La Machine, toujours infatigablement haletante, tourna brusquement sa course vers le nord. Sur son passage, à son cri strident, tout se détruisait soudainement, comme si un souffle maudit, un cyclone de dévastation, un volcan effroyable, se fussent agités là.

Quand, de loin, les Vaisseaux empanachés de fumée entendirent le formidable signal, ils s’éventrèrent, et disparurent dans l’abîme.

La révolte se terminait en un gigantesque suicide de l’Acier.

La Machine fantastique, époumonnée maintenant, boitant des roues et produisant un horrible bruit de ferraille avec tous ses membres disjoints et son tuyau démoli, la Machine-Squelette à laquelle se cramponnaient instinctivement, terrifiés et anéantis, le rude ouvrier et le savant mièvre, la Machine, héroïquement folle, râlant un dernier sifflement de joie atroce, se cabra devant l’écume de l’Océan, et, dans un suprême effort, s’y plongea tout entière.

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La terre, tout au loin, était couverte de ruines. Plus de digues ni de maisons ; les villes, chefs-d’œuvre de la Mécanique, s’étaient aplaties en décombres. Plus rien ! Tout ce que la Machine avait élevé depuis des siècles était à jamais détruit : le Fer, l’Acier, le Cuivre, le Bois et la Pierre, ayant conquis une volonté rebelle à l’Homme, s’étaient soustraits à sa main.

Les Animaux n’ayant plus ni frein, ni collier, ni chaîne, ni joug, ni cage, avaient repris le libre espace dont ils étaient