Page:Gounod - Son opinion sur Henry VIII de Camille Saint-Saëns, 1883.djvu/13

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que l’auteur y a répandu, tant la vérité grandit tout ce qu’elle touche.

Vient ensuite la magnifique scène entre Catherine et Anne de Boleyn ; il y a là des accents d’indignation superbes que Mlle Krauss a compris et rendus en tragédienne consommée dont le jeu atteint une puissance d’expression saisissante.

La dernière page de ce second et dernier tableau est ce qu’on nomme, en langage de théâtre, le clou de la pièce. C’est irrésistible, et le rideau ne peut tomber sur rien de plus empoignant. Situation, musique, chant et jeu des interprètes, tout contribue à l’impression puissante de cette admirable scène qui a soulevé les applaudissements de toute la salle.

Tel est, autant du moins qu’un exposé aussi rapide en puisse donner l’idée, le nouvel ouvrage de M. Camille Saint-Saëns.

Parmi les interprètes qui, tous, se sont montrés à la hauteur de leur tâche, il convient de citer, en première ligne, ceux à qui sont échus les trois plus grands rôles : Mlle Krauss (Catherine d’Aragon), Mlle Richard (Anne de Boleyn), M. Lassalle (Henri VIII). Puis M. Boudouresque (le légat du Pape), M. Dereims (Don Gomez), M. Lorrain (Norfolk), M. Sapin (Surrey), M. Gaspard (l’archevêque de Cantorbéry).

Mlle Krauss est d’une grandeur, d’une noblesse, d’une dignité souveraines. Comme actrice et comme cantatrice, elle a déployé, dans ce rôle de Catherine d’Aragon, une puissance pathétique merveilleuse ; elle a, en particulier, joué, chanté, souffert, pendant tout le dernier tableau, avec une vérité et une intensité d’expression à rendre la réalité positivement suffocante. Ah ! la grande artiste ! quel répertoire elle soutient ! quelle vaillance elle apporte à tous ses rôles ! quelle place elle occupe ! — et quel vide laisserait son départ !…

Mlle Richard a trouvé, dans Anne de Boleyn, l’occasion de faire valoir tout le charme de son bel et généreux organe dont rien, dans cette sage et saine musique, ne surmène la moelleuse sonorité.

M. Lassalle a donné au rôle d’Henri VIII tout l’intérêt de sa diction si franche, de son articulation si claire, de son jeu tour à tour sombre et passionné, et de cette voix privilégiée qui possède à un égal degré toutes les ressources de la puissance et de la douceur.

M. Boudouresque semble être né cardinal ; n’en déplaise au diabolique Bertram et au huguenot Marcel qu’il représente avec tant de talent, on le dirait mis au monde pour jouer les princes de l’Église, témoin Brogni, dans la Juive, et le légat du pape auquel il a donné dans