Page:Gouraud - Dieu et patrie, paru dans La Croix, 1897.djvu/171

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

là eut un peu de repos, les bras si rompus, malgré sa force électrisée par sa volonté, qu’il dut un instant, calmer son entrain.

Michelle regardait venir à elle, la côte noire, les cloches de Saint-Malo et de Saint-Servan. En face, à droite, la tour du jardin, au feu tournant rouge et vert, l’île Harbour ainsi qu’un massif sombre, et là-bas, la pointe du Decolé, couronné de sa gigantesque croix de granit bleu.

« Est-ce que le douanier est sur la falaise Madame ? fit, tout à coup Minihic, qui, le dos à l’horizon, ne voyait rien. Il va croire à des contrebandiers, à des espions pour sûr. Si c’était encore le père Lemnic, ça irait tout seul ; autrement, ce sera ennuyeux, s’il faut donner des explications. »

Michelle n’entendait pas l’observation de son matelot, sa pensée la prenait tout entière ; elle se revoyait à son premier voyage en cette baie, pauvre petite orpheline, jetée sur ce rocher stérile où elle avait pris racine ainsi qu’un coquillage, presqu’indéracinable, elle aussi ; si souffrante, si brisée de son essai d’acclimatation à l’étranger, qu’elle revenait encore à ce nid glacé, austère, où si peu de joies lui avaient été données, mais qui était, quand même, sa famille et sa patrie !

Ils abordèrent à même le rocher ; nul ne vint, malgré le souci de Minihic, leur demander compte de leur course nocturne.

Ils attachèrent le bateau solidement, et comme ils l’avaient fait si souvent, autrefois ils gravirent la falaise. De petits rosiers sauvages croissaient à fleur de terre, les boules rouges de sinorodon ponctuaient le sol, et Michelle en cueillait, en emplissait ses poches pour emporter quelque chose.

Elle arriva au cimetière. La porte toujours en était ouverte. Elle se prosterna sur la pierre, embrassa la croix et épandit son cœur meurtri en une longue plainte éplorée,