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HENRI DE RÉGNIER ET SON ŒUVRE

Nous sommes encore trop près du symbolisme pour pouvoir le juger d’une façon désintéressée. Déjà, ce pendant, se dessine le lien qui l’unit au Parnasse. Les premiers symbolistes furent des Parnassiens dissidents. Cette dissidence fut d’abord toute de pensée, et la révolution qui se fit dans la forme du vers fut plus artificielle qu’on ne le croit. L’école symboliste peut et doit se concevoir en dehors du vers libre : l’œuvre de M. de Régnier le prouve. Ses vers libres sont d’une musique et d’un rythme qui satisfont notre oreille, et notre rythme intérieur, et notre respiration. Respiration : il faut bien se persuader que le vers est comme une expiration de souffle. Notre organisme ne peut physiquement suivre, d’une haleine, plus loin que les douze pas de l’alexandrin. Le reste est combinaisons de rythmes : il en est de savants, il en est aussi d’absurdes. Je ne m’offusquerai pas de voir des vers de quatorze pieds, si je puis les scander, les dissocier en petits vers de sept et sept, de huit et six, etc…

Le Parnasse, c’était la perpétuation de la formule romantique, coquillage vide dont ces héritiers se mirent à sculpter les parois, travail délicat et fragile. Aucune pensée, aucune idée nouvelle à y loger. Parmi ce groupe de poètes, il n’y eut peut-être pas un seul poète de génie vraiment spontané, pas un poète d’intuition. Heredia ne fut-il pas par ses qualités de précision un peintre presque ? Leconte de Lisle est venu trop tôt ou trop tard : l’ombre de Hugo interceptera toujours son propre éclat ; de plus en plus il se confondra avec lui. Les générations se resserrent les unes contre les autres, et, à distance, ce qui fut différent et sembla se contredire s’unit et se complète l’un par l’autre.

Le symbolisme ne fut pas d’abord une révolution, mais une révolution provoquée par l’infiltration de nouvelles idées