Page:Gourmont - La Culture des idées, 1900, 2e éd.djvu/101

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lyse en des éléments encore très complexes où l’on distingue l’idée de droit et l’idée de châtiment. Mais il y a tant d’illogisme dans cet accouplement singulier qu’on douterait de l’exactitude de l’opération, si les faits sociaux n’en fournissaient la preuve.

Ici on pourrait examiner cette question : y a-t-il vraiment pour le peuple, pour l’homme moyen, des mots abstraits ? C’est peu probable. Il semble même que, selon le degré de culture intellectuelle, le même mot n’atteigne que des états échelonnés d’abstraction. L’idée pure est plus ou moins contaminée par le souci des intérêts personnels, ou de caste ou de groupe, et le mot justice revêt ainsi, par exemple, toutes sortes de significations particulières et limitées sous lesquelles disparaît, écrasé, son sens suprême.

Dès qu’une idée est dissociée, si on la met ainsi toute nue en circulation, elle s’aggrège en son voyage par le monde toutes sortes de végétations parasites. Parfois, l’organisme premier disparaît, entièrement dévoré par les colonies égoïstes qui s’y développent. Un exemple fort amusant de ces déviations d’idées fut donné récemment par la corporation des peintres en bâtiment à la cérémonie dite du « triomphe de la république ». Ces ouvriers promenèrent une