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LE PARADOXE HARPIGNIES



On a bien fait de promouvoir le peintre Harpignies à la dignité de grand’croix. Il n’est pas seulement le dernier des grands paysagistes, mais à quatre-vingt-douze ans il ne connaît encore ni la vieillesse de la vie, ni celle du talent, et par l’exemple qu’elle donne, son existence représente pour l’humanité la plus belle série de services exceptionnels. Il n’y a pas longtemps, je le voyais descendre à pied de la gare Montparnasse vers Saint-Germain-des-Prés, pliant, toiles et chevalet sur l’épaule, comme un allègre rapin. Sur le marbre de la table du café, il crayonnait des arbres, des têtes, les visions de sa journée, et on respectait le plus longtemps possible ces improvisations du « père Harpignies ». En les apercevant, on savait qu’il avait passé par là, que là il avait bu sa traditionnelle absinthe, l’« herbe sainte », comme il dit naïvement, à laquelle il attribue, ainsi que dans les annonces des journaux illustrés, la perpétuité de ses forces et de son génie. Harpignies est le